LA POÉSIE DE LA STRUCTURE – Contribution de Daniel VANICHE, DVVD Architectes et Ingénieurs, au livre Esthétique des structures, AAIIA, 2021
février 2022 – Actualités
Chapitre 1 : L’épopée de la structure
Les structures ont longtemps relevé du mystère, secret bien gardé par les architectes. La crainte de la voûte qui s’effondre ou du poteau qui flambe s’est dissipée avec la naissance de la résistance des matériaux.
Ce savoir a permis de faire éclore, à partir de la fin du XIXème siècle, les constructions de Viollet le Duc, de Gaudi ou d’Eiffel. Les structures ont ensuite marqué l’histoire de l’art et de l’architecture de manières très contrastées.
Les structures devenues visibles apportent une forme de rigueur intemporelle pour Johnson ou Mies Van der Rohe.
Elles magnifient la performance chez Maillard ou Esquillan.
Elles associent matérialité et travail sur la forme chez Torroja, Candella, Nervi ou Matté Trucco.
Elles expriment leur fonction, dans une expression artistique, chez Prouvé, Rice, Calatrava ou Mimram.
Elles inventent une esthétique en lien avec la technique pour Foster, Rogers ou Piano.
La structure a aussi été portée en art par Tatlin ou Delauney, ou en manifeste par Choukhov.
Si ces architectes et ingénieurs ont conçu tant de structures qui nous font encore rêver aujourd’hui, par leur puissance, leur évidence, leur simplicité ou leur justesse, cette richesse structurelle se fait de plus en plus rare.
Toit Mobile du court central de Roland Garros,
DVVD Architectes et Ingénieurs et ACD Girardet et Associés 2020.
(court central et mandataire ACD Girardet)
© Laurent Kronental
Chapitre 2 : Détournement de l’esthétique des structures ?
La première raison serait paradoxalement liée au savoir acquis aux XIXème et XXème siècles : La résistance des matériaux maîtrisée, les structures calculées dans leurs moindres contraintes, déplacements, flambements, les calculs banalisés par les logiciels de calculs, feraient perdre de sa magie à la structure, et donc de l’enchantement des architectes et ingénieurs face à cette science maitrisée.
Il est facile d’imaginer une raison financière à ce désintérêt : La tendance permanente de réduction des budgets d’études et de travaux pousserait tous les intervenants dans la chaîne de conception et de construction à aller au plus simple dans leurs études, et évidemment au moins cher dans la construction.
Une troisième raison, pourrait être liée à notre système de pensée : L’optimisation, l’efficacité, la solution unique à un problème donné, transcrivent la structure en équations, la simplifient à l’extrême et la décontextualise, faisant passer cette recherche d’optimum avant toute approche sensible du lieu et toute réflexion autour du projet.
Une quatrième raison serait liée à l’évolution des modes de construction : Les fluides sont démultipliés, imposant assez souvent des faux plafonds. L’acoustique et l’isolation thermique introduisent des quantités d’absorbants et d’isolants qui n’existaient pas il y a cinquante ans. Tous ces éléments nuisent à l’expression de la structure, tant en plafond qu’en façades.
Les trames d’un pont sont alors pensées en fonction d’abaques et non en fonction du paysage. Les matériaux de structure d’une tour sont définis par le savoir-faire de l’entreprise pressentie et non son l’architecture. Le dimensionnement des profilés d’une halle découle de l’optimisation des temps de soudure, et non du rythme des éléments, du volume de la voute et des jeux ombres. Les trames de structure d’un bâtiment sont pensées pour être toutes identiques et non en lien avec les façades, ni dans un rythme qui dialogue avec la ville… Les détails constructifs ne sont plus dessinés, sans doute parce qu’ils seront masqués. Le dialogue entre structure et architecture s’estompe.
Passerelle de Saint Omer, DVVD Architectes et Ingénieurs, 2020
Chapitre 3 : Retour à une intelligence de la structure
Si certaines architectures cherchent à masquer toute expression de la structure, pour mettre en avant une autre forme de matérialité, de textures ou le travail sur la lumière ; si d’autres projets n’ont pas de structure apparente pour des raisons thermiques ou acoustiques ; d’autres conservent par contre, encore aujourd’hui, une structure et des détails de structure apparents pour des raisons architecturales, d’inertie thermique, ou même de coût.
Évidemment, l’idée d’optimiser la structure fait sens, tant dans une recherche de finesse que dans une pensée environnementale visant à réduire les matières consommées et le bilan carbone des projets.
Mais cette optimisation, la qualité et la beauté du dessin ne sont pas antagonistes.
Il y a tant de manières pour la structure de participer à l’architecture, d’exprimer ou même de renforcer les intentions de projet !
Le calcul ou les optimisations peuvent aider à la révéler plutôt qu’à la brouiller, dans une inventivité propre à chacun.
Cela demande un travail délicat et précis, pour conjuguer durable, économe en matière, moins cher, respectueux de l’environnement, et pourquoi pas … poétique.
Tour D2, Anthony Bechu et Associes et Tom Sheehan, 2015
Avec DVVD Ingénieurs (enveloppe et structure)
Chapitre 4 : La poésie de la structure
La structure peut raconter beaucoup de choses. La force ou la douceur, la brutalité ou la finesse, la massivité ou la fragilité, la prouesse ou la banalité, l’opacité ou la transparence, l’évidence ou l’étonnement, la complexité ou la simplicité, l’ordre ou le désordre, le plein ou le vide, la technicité ou la nature…
La structure peut même dépasser ces champs pour aller sur celui du sensible.
Si l’on se remémore les projets du XIXème siècle, on y trouve un peu de la passion des ingénieurs et des architectes de cette époque.
Revenir à ces intentions serait déjà énorme. Mais nous pouvons aller plus loin encore.
Intégrer une part de poésie à la structure passe par une attention particulière au calcul, au dessin et au détail, dans une recherche sur les formes et les assemblages.
Cela passe, il est vrai, parfois, par … s’éloigner de l’optimum structurel, se détourner de la solution la plus évidente, pour apporter beauté et justesse aux projets.
Cette expression de la technique du projet nous incite à penser les structures comme des architectures, en fonction du site, du contexte, des matériaux et de la lumière.
Combiner optimisation et contextualisation permet alors, non seulement de concevoir de belles structures, mais de faire en sorte qu’elles soient source d’inspiration. Et pourquoi pas une expression en lien avec la nature, une image poétique, une délicatesse, ou encore une nouvelle esthétique.
La recherche de finesse, la maîtrise des coûts et la réduction du carbone consommé doivent redevenir compatibles avec une émotion qui traverse le projet pour le révéler et le sublimer, dans une symbiose avec l’architecture !
Transformation du POPB en Accor Arena, 2015
DVVD Architectes et Ingénieurs